mardi 8 avril 2014

"Selfie" ou symptôme de l'égocentrisme ambiant

Il est bien loin le temps où on rechignait à paraître sur une photo, où le sourire devait être la prolongation d'un "ouistitiiiiii" pour forcer l'apparence d'une esquisse enthousiaste. Aujourd'hui la photographie sur sa propre bouille est largement assumée et même recherchée, au point d'en devenir un effet de mode et d'en avoir inventé un mot tiré de l'anglais, le "selfie".

Kanye West et Kim Kardashian, faisant un "selfie" dans un lieu qui semble leur paraître en adéquation avec leurs personnalités.

Mais comme dans tout effet de mode, il y a à creuser par là une interprétation psychanalytique. Il est en réalité clair que se photographier soit-même sous toutes les coutures dans des postures ou des endroits des plus insignifiants aux plus farfelus traduit une forme d'égocentrisme dissimulé sous l'apparence d'effet de mode. Car oui, si les "selfies" trouvent un terrain favorables à leur développement c'est bien qu'il y a une raison sous-jacente au fait que beaucoup de monde y adhère, principalement les nouvelles générations.

Et c'est là que le constat d'un nouveau stade de l'égocentrisme pointe le bout de son nez, de la même manière que le "moi je" est passé au "moi personnellement je", assumer le fait d'attirer l'attention sur soit pour un intérêt quasiment toujours au raz des pâquerettes en dit long sur l'état de la société. 

Personnalités symboliques du PS et des verts, incarnant parfaitement la trame du modernisme à tout prix, quitte à paraître grotesque.

Mes détracteurs pourraient me rétorquer que si les "selfies" ont du succès c'est bien parce que les autres regardent et qu'ils sont donc aussi portés à regarder autrui. Je leur répondrais que si les gens regardent ce genre de bassesses visuelles, c'est que :
- premièrement, ils répondent à une curiosité envers autrui pour se comparer à eux-mêmes, ce qui revient finalement à porter son regard sur les autres pour le ramener sur soit (preuve d'égocentrisme).
- deuxièmement, nous sommes dans un genre de jeu psychologique inconscient dans un contexte de réseaux sociaux, qui se trouvait déjà couramment sur les skyblogs, à savoir ce jeu d'échange de commentaires qui poussent à se donner mutuellement de vrais-faux commentaires complaisants pour se construire l'impression de valoir quelque chose aux yeux des autres.

Le deuxième point se traduit souvent par des commentaires du type :
- Tu es belle !
- Non c'est toi ! Moi j'suis bof.
- Tu rigoles t'as vu mon nez ? Toi t'es splendide !
etc. (la discussion peut durer une éternité.)

Le début de l'ère du numérique avait déjà témoigné d'une sorte de départ en voulant photographier et filmer à peu prêt tout de ses voyages et autres sorties, s'empêchant par l'occasion de vibrer l'instant présent. Aujourd'hui, une étape de plus est franchie, celle de se montrer en train de donner l'impression qu'on vit l'instant présent.


Illustration parfaite du "selfie" qui fait prédominer le paraître vivre l'instant, plutôt que le vivre réellement.

Il est à commenté que cet effet de mode, et comme le laisse présager le mot en lui-même, le "selfie" est à prédominance anglo-américaine. Et de la même manière, le rire ou le sourire sur les photos est un comportement qui n'a pas été instinctif en Europe mais importé des Etats-Unis. Considéré comme un comportement potache digne de la bouffonnerie, le sourire sur la photo s'est ensuite démocratisé par le biais d'Hollywood et de ses acteurs accoutumés à la pose de l'apparence joyeuse. Une raison de plus de se questionner sur notre identité culturel en perdition et des conséquence que cela peut avoir.